Le Contre-Transfert (1979), Harold SEARLES, editions Gallimard, Coll. Folio Essais

Titre original Countertransference and related subjects-Selected Papers, traduit par Brigitte BOST.

Contre-transfert : synthèse, résumé (à partir du dernier chapitre de l’ouvrage)

1) La thèse essentielle est que les modes d’expérience et de relation interpersonnelle les plus primitifs de l’analyste n’ont pas été résolus une fois pour toute par son analyse personnelle, ni par d’autres expériences de maturation.
Ils sont susceptibles d’être réactivés au cours de sa vie d’adulte, et spécifiquement lorsqu’il travaille avec un schizophrène ;
L’analyse personnelle est efficace dans la mesure où elle permet à l’analyste d’avoir accès à sa capacité de sentiments primitifs (jalousie, rage, peur, aptitude symbiotique et autres états affectifs) contre lesquels la schizophrénie du patient est en mode défense.

2) Toutes les réactions de « transfert délirant » du patient –telles que la perception de l’analyste comme étant la personnification de la mère au moi fragmenté, ou de son père affectivement distant- ont toujours quelque fondement dans la réalité. Pour que le patient puisse développer une relation à la réalité mieux intégrée, plus compréhensive, il faut que l’analyste reconnaisse implicitement ces noyaux de perception de la réalité, dans le transfert, au lieu de maintenir inflexiblement l’idée que le patient incarne l’ambivalence, dans toute son intensité.

3) Une bonne ré-individuation du patient nécessite une expérience de symbiose thérapeutique à laquelle l’analyse participe à un niveau affectif, mais à un degré utilisable. Cette symbiose est toujours soumise à l’examen analytique de l’analyste, ce qui diffère totalement de ce qui pourrait être envisagé comme « une folie à 2 », mise en acte.

4) Dans la phase de travail dite de « symbiose thérapeutique », les efforts thérapeutiques du patient à l’égard du thérapeute, de même que son chagrin, sa culpabilité de n’avoir pas donné à la mère fragmentée la possibilité d’être envers lui une mère totale et profondément satisfaisante, ont une importance considérable.

5)Le problème fondamental dans la schizophrénie est que le patient n’a pas pu développer une identité humaine ni subjectivement, ni, dans les cas chroniques les plus sévères, objectivement.
C’est dans la phase de symbiose thérapeutique qu’un processus de « ré-humanisation » et de « ré-individuation » réciproques peut s’instaurer : la relation thérapeutique est devenue à ce moment-là, suffisamment forte pour que les 2 participants laissent entrer en jeu –au cours de l’exploration du transfert- les éléments d’identité subjectivement non humaines, jusqu’alors inconscients, mais mis en acte, dans le comportement.

« De manière caractéristique, ce sont les analystes voyant dans la schizophrénie essentiellement une maladie de carence qui ont besoin de maintenir refoulés les comportements de mauvaise mère de leur propre identité, et qui cherchent à ré-affirmer par la manière dont ils s’efforcent d’aborder avec chaleur et générosité le patient schizophrène, leurs aspects de bonne mère. En fait, ils demandent au patient de les délivrer de leur mauvais soi, ou de leurs introjects de mauvaise mère, dont ils ont peur ». (p.320)

« Fondamentalement, les psychanalystes sont les seuls thérapeutes qui, parce qu’ils sont engagés dans une incessante exploration de leur propre vie intérieure pour aider au traitement de leurs patients, possèdent les qualités nécessaires pour discerner, explorer, et sauver les éléments d’humanité du patient qu’écrase la maladie schizophrénique, cette maladie qui, aux yeux des gens moins informés, le classe dans une catégorie essentiellement non humaine. » (p.323)

Réflexions : Le Mythe de la Naissance du Héros, suivi de La Légende de Lohengrin (R.WAGNER), par Otto RANK (1911)

La légende de Lohengrin, le mythe et son exploitation par Richard WAGNER d’après Otto RANK (1884-1939)

Résumé de la légende dans le drame musical de R.WAGNER

Bord de l’Escaut.
Le comte de Telramund vient se plaindre au roi du Brabant de l’attitude d’Elsa, fille du défunt souverain qui la lui avait confiée, lui promettant sa main sur son lit de mort. Il accuse celle-ci d’avoir manipulé son frère Gottfried, de l’avoir même éliminé pour qu’il ne puisse accéder au Royaume, et qu’elle puisse, elle, y imposer un amant secret avec lequel elle aurait une liaison. Contre toute attente, Elsa n’argue aucun élément pour sa défense et se replie dans l’attente de l’intervention d’un chevalier servant qu’elle a vu en rêve et qui viendrait la délivrer de sa pénitence en acceptant de mener un duel contre le Comte. Telramund accepte la situation qu’il croit en sa faveur et plaide pour que soit enfermée la jeune femme sur une période définie. Alors que le héraut a déjà sonné par 2 fois, enfin, débarque un chevalier revêtu d’argent, élancé, tenant épée… Il est arrivé dans une nacelle dont la chaîne en or est tiré par un cygne. Il se présente à Elsa. Les 2 se « reconnaissent » faits l’un pour l’autre et se garantissent amour mutuel. Le chevalier au cygne affronte le Comte de Telramund dans un combat facile et déséquilibré à la défaveur du Comte. Dans sa bonté, le chevalier lui épargne malgré tout la vie. Le chevalier se dirige ensuite vers Elsa et avant le mariage lui fait promettre de ne pas chercher à s’enquérir ni de son nom, ni de ses origines, lesquelles divulguées l’obligeraient à s’en aller pour toujours. Dans le feu de la passion première, Elsa promet et le cortège nuptial s’organise. La femme de Telramund, Ortrude, qui est en fait à l’origine de la manipulation de son époux, tente de compromettre le mariage en questionnant le nom et l’origine du chevalier que tout le peuple accueille avec bonheur. Elsa est un peu confuse, mais respecte ses engagements et parvient à ne pas poser les questions. Le mariage a donc lieu. Dès le soir des noces cependant, après les échanges tendres des amoureux, Elsa revient sur le sujet, par évocations, en s’arrangeant pour ne pas poser les questions, mais en essayant d’amener le chevalier à lui répondre sans avoir à poser de question. Lui, essaie d’apaiser sa curiosité en lui expliquant qu’il vient d’une haute et noble lignée, et, qu’en ce sens, elle n’a aucune inquiétude à avoir. Mais, Elsa n’en est que plus enflammée et pose brutalement les questions au chevalier interdit. Sur ces entre-faits, surgissent dans la pièce des hommes armés, menés par Telramund, venu pour essayer de lui couper un bout de doigt (sa femme l’ayant convaincu que le chevalier est doté d’un pouvoir magique et qu’il suffirait de lui couper un bout de doigt pour le lui ôter). Elsa enjoint alors son époux à se servir de son épée. Le Comte est mis hors d’atteinte rapidement et ses hommes enfermés. Le chevalier fait se réunir le roi et le peuple, et mande que soit menée Elsa sur les lieux. Là, il expose son nom, et ses origines avant de saluer pour partir à jamais. Il explique se nommer Lohengrin, fils du Graal. Il est venu spécifiquement pour délivrer Elsa et servir le royaume. Maintenant que la question des origines est posée et révélée, il doit s’en retourner, en dépit des réclamations tant de sa jeune épouse que du peuple. Le cygne blanc tirant la nacelle est déjà là, sur les bords de l’Escaut. Lohengrin saute dans la nacelle, après avoir expliqué à sa femme que leur non vie commune entraînera également le non retour de son frère Gottfried, qui devait revenir après un an de vie commune, heureuse. Elsa s’effondre. Ortrude surgit et annonce avoir compris que le cygne est en fait Gottfried… Lohengrin s’agenouille… comme en prière… Une blanche colombe traverse le ciel au-dessus de sa tête, témoignage de la réalisation de son vœux… Le cygne replonge dans l’eau, et Lohengrin l’en ressort transformé en beau jeune homme vêtu d’argent : Gottfried, qui se jette dans les bras de sa sœur désespérée de perdre ainsi son époux… Lui, devient l’héritier du royaume.
Le Lohengrin de WAGNER s’origine suivant l’auteur dans divers mythes dont il trace les lignes en insistant sur les points communs (mère infidèle ou accusée comme telle ; soumise à répudiation ou enfermement ou encore prenant la fuite ; enfant né de la liaison exposé, « récupéré » et élevé ; devenu jeune homme, ses qualités le distinguent et il devient chevalier auprès d’un roi… Alors, il se fait remarquer par ses exploits, et la main de la fille du royaume-la femme emprisonnée-, lui est donnée… autrement dit, la main de sa mère!). Les aspects divergents sont des nuances de lieux, et de circonstances, mais le thème des origines et de l’inceste non consommé par une révélation (celle des origines précisément) est toujours là.
WAGNER explique lui-même l’engouement passionnel qui le meut lorsqu’il est mis en contact pour la première fois avec le mythe de Lohengrin. Il s’y est plongé, ne pouvant plus en sortir… Pour lui, comme pour beaucoup d’artistes, la création passe inévitablement par ces moments d’exaltation, au cours desquels plus rien ne compte ni n’a de valeur en dehors de toute considération créatrice.
Alors, quels sont les mobiles de cet attachement au mythe en question?? Comme tout mobile de vie quotidienne, ils relèvent à la fois de motivations conscientes et inconscientes. Sur le plan conscient, WAGNER approche le mythe avec la représentation de la position particulière de l’artiste, faisant ainsi coïncider sa propre évolution et sa propre personnalité avec celle de Lohengrin.
Lohengrin, c’est l’artiste, isolé dans sa tour d’ivoire dorée… ce maître de l’univers existant pour sauver l’homme, ou la femme, grâce à l’art, à ses créations. Mais, cet artiste est aussi un homme… et il s’ennuie parfois… Alors, quand il entend ce cri de la femme (la prière d’Elsa), il l’entend aussi en tant qu’homme et veut croire qu’il peut lui aussi vivre une vie semblable à celle des autres hommes (le mariage et les promesses). Mais, l’envie, la jalousie des autres remettent en cause les tendres promesses et corrompent les engagements… (rupture de l’engagement par Elsa). L’artiste ne peut plus faire autrement que de repartir dans sa tour (retour de Lohengrin). Cette approche est représentative de la difficulté de vivre de Richard WAGNER : difficulté de n’être autrement que DANS l’œuvre et PAR l’œuvre…. Mais difficulté aussi de se trouver femme… (WAGNER a connu 2 mariages, et à chaque fois, ses épouses sont des femmes qui sont non libres quand il les courtise…)
Sur le plan inconscient, WAGNER chercherait à retrouver/sauver la mère de l’homme qui la détourne de lui.
Richard WAGNER est âgé de 6 mois lorsque son père meurt. La relation mère-enfant, fusionnelle à cette époque a facilement pu l’être davantage encore du fait de cette perte d’objet pour la mère. Cependant, elle se remarie avec GEYER, un comédien, qui devient donc le beau-père de Richard WAGNER. Ce dernier reste d’ailleurs convaincu très tardivement que cet homme est son père (fantasme permettant d’envisager une infidélité maternelle… envisager donc cette mère comme une « putain » (cf.RANK)… seul moyen de la rendre accessible par lui).
En règle générale, ce type de fantasme se déploie à la puberté, avant de s’évanouir par l’implication dans la vie socio-professionnelle et affective. Or, WAGNER, finalement, répète à l’envi ce fantasme. Dans ses réalisations créatrices, il s’identifie à GEYER et conteste la femme, sous forme de héros légendaires. Il la conteste à un autre homme, en variant et répétant le thème inlassablement… sous le thème du « tiers lésé ». Dans sa vie même, le thème de la rivalité joue un rôle prépondérant. L’amour « le plus violent et le plus profond » (cf.RANK) qu’il éprouve s’adresse à une femme déjà engagée (la femme de son ami WESENDONCK). Cette condition de l’insatiable amour, qui découle inévitablement du complexe maternel, peut être considéré comme relativement apaisé lorsque WAGNER déjà mûr, épouse la femme d’un autre ami (BÜLOW), réussissant ainsi à réaliser le vieux désir de la femme d’un autre (femme du père), alors que ce désir infantile était depuis longtemps inconscient.
Pour RANK, « le moi ne retrouve sa propre héroïcité que dans l’enfance et c’est pourquoi il est obligé de substituer au héros sa propre révolte », p.147. L’adulte crée des mythes au moyen d’un retour fantasmagorique à l’enfance, en imputant au héros sa propre histoire d’enfant. Ces mythes sont a priori défigurés parce qu’ils subissent une déformation du fait de l’histoire de la collectivité qui les portent, et transmettent. « Chaque génération successive de conteurs laisse des traces de son niveau culturel et de son stade de refoulement sur le corps du mythe », p.13.
La question que soulève RANK, par delà la référence au mythe, est certainement également celle de l’imprégnation psychique de l’artiste dans son œuvre, quelle que soit le domaine artistique concerné. Suivant sa position, toute création relève d’une implication totale de l’artiste… c’est en fait aussi la position de WAGNER et de nombreux artistes… qui n’hésitent pas à expliquer la fièvre créatrice qui les saisit, en-dehors de toute rationalité au moment où « l’inspiration » est là. Quand elle est là, quand ils sentent que tout est là, alors ils se laissent envahir, prendre par cette source de création et la suive… dans une position clairement transcendantale, à des fins de catharsis… « il fallait le faire… ». Dans ces moments, plus rien d’autre ne compte que la production, plus rien n’a de valeur (et on revient au thème du génie incompris par la foule, éprouvant une nostalgie éternelle et préférant retourner à la solitude).
Partant de cette thèse de la projection du psychisme du créateur sur sa création, je me suis amusée à analyser une partie de la production littéraire de certains auteurs, notamment d’Olivier ADAM, au travers son ouvrage de 2005, Falaises (ed. De l’Olivier, coll.Points). La production a été travaillée comme le serait le contenu d’un analysant, en travail avec moi, mais uniquement en exploitant un outil très spécifique de la psychanalyse active, qu’est l’analyse quantique des rêves. J’ai appliqué la même méthode au contenu créé, plutôt qu’au rêve. Je parviens à une hypothèse concernant l’implication psychique de l’auteur, et l’extension de cette grille d’analyse à d’autres productions que la production onirique.
La question que je pose est alors la suivante : l’analyse d’un artiste est-elle, serait-elle souhaitable au regard de son talent créateur ??? Si la fougue créatrice se trouve inévitablement modifiée par le travail analytique de soi, l’analyse confère certainement un champ de distanciation possible et de renouvellement dans la production. Le non-travail a sans doute tendance à enfermer, scléroser le talent créateur, qui s’auto-alimente de ses sources primitives. Si la pulsion de mort alimente le talent créateur dans le non-travail (l’œuvre elle-même et son succès protégeant de l’issue funeste), c’est la pulsion de vie qui stimule la création dans le cas du travail analytique (la réussite de l’œuvre, assurant alors une perception de plaisir d’être et faire en adéquation avec soi-même et l’évolution des conditions, du contexte).

A la cour du Brabant, le Comte de Telramund se plaint d’Elsa (fille du souverain défunt), dont il est tuteur. Elle chercherait à imposer un amant la tête du Royaume, éliminant ainsi son frère Gottfried, et l’éloignant lui-même des privilèges attendus d’une union promise. Elsa se tait et se laisse enfermer, dans l’attente de l’intervention d’un chevalier, vu en rêve, qui viendrait la délivrer. Sa cause semble désespérée, quand enfin surgit un chevalier, au milieu d’une nacelle tirée par un cygne. Présentés, les deux jeunes gens se garantissent amour mutuel, et le chevalier terrasse le Comte sans le tuer.
Avant l’officialisation de l’union par le mariage, le chevalier fait promettre à Elsa de ne jamais chercher à s’enquérir ni de son nom, ni de ses origines. Elsa promet et le cortège s’organise. Mise en difficulté par Ortrude, épouse du Comte, qui questionne les origines du chevalier, elle respecte ses engagements.
Cependant, dès le soir des noces, elle revient sur le sujet. Le chevalier essaie d’apaiser sa curiosité, en lui garantissant sa haute lignée. Plus enflammée encore, Elsa pose brutalement les questions interdites. Simultanément, surgissent Telramund et ses hommes, venus lui couper un bout de doigt (Ortrude ayant convaincu le Comte que les pouvoirs du chevalier s’annihileraient ainsi). Elsa réagit et porte l’épée au chevalier, lequel achève Telramund et fait emprisonner ses hommes. Devant le roi, Elsa et le peuple, le chevalier annonce alors son départ, en révélant son identité et ses origines : Lohengrin, fils du Graal, venu pour délivrer Elsa et servir le royaume… Malgré les plaintes, il saute dans la nacelle de retour, et révèle l’intuition d’Ortrude : le cygne blanc (re)devient Gottfried, héritier légal. Elsa se morfond.

 

L’Image Inconsciente du Corps, F.DOLTO, Coll Points/Essais, Editions Seuil 1984


Il s’agit de proposer une approche synthétique de différentes parties de l’œuvre ci-dessus référencée de F. DOLTO.

Aujourd’hui, l’intervention consiste à fixer les différences fondamentales entre schéma corporel et image du corps, afin de pouvoir ensuite aborder la construction de l’image du corps et son devenir (prochaines contributions).

Shéma corporel

  • C’est le schéma fonctionnel, l’outil, le corps, le médiateur entre le sujet et le monde ;
  • Il peut être obéré par des images pathogènes : l’utilisation du corps se trouve entravé par une libido liée à une image corporelle inappropriée, archaïque ou incestueuse ;
  • Il est une réalité de fait, sauf si atteintes organiques précoces (résultant par exemple d’un manque ou d’une interruption de la relation langagière) engendrant des modifications passagères ou durables ;
    Rq : Dans la grande majorité des cas, le maintien de la relation langagière dans les situations d’atteintes organiques précoces assure la coexistence d’un corps « infirme » avec une image de corps saine (à condition que cette parole accepte la réalité de l’infirmité)
  • Le schéma corporel spécifie l’individu dans un espace propre : un lieu, une époque, un environnement particulier ;
  • Il est l’interprète actif ou passif de l’image du corps (il est le support d’une objectivisation de relation langagière à l’autre)… Sans lui, cette relation libidinale à l’autre resterait fantasme non communicable ;
  • Il est le même pour tous (au même âge, sous les mêmes climats) ;
  • Le schéma corporel est en partie conscient, préconscient et inconscient ;
  • Il est abstraction d’un vécu du corps dans les 3 dimensions de la réalité (RSI), et se structure par l’expérience et l’apprentissage.

Image du corps

  • Elle est une synthèse vivante des expériences émotionnelles : « incarnation symbolique du sujet désirant, et ce, avant même que le sujet soit capable de dire JE » ;
  • Elle est à chaque moment une mémoire inconsciente de tout le vécu relationnel. En même temps, elle est actuelle et vivante, en situation dynamique, à la fois narcissique et camouflable, ou actualisable dans la relation ici et maintenant, par toute forme d’expression langagière (dessin, modelage, invention musicale, plastique, mimiques, gestes, paroles)
  • Elle est éminemment inconsciente (même si elle peut devenir préconsciente par procédures langagières associatives) ;
  • Elle se structure par la communication entre sujets et est trace, jour après jour, du JOUIR réprimé, frustré, interdit (castration du désir dans la réalité)
  • Elle fait référence à l’imaginaire exclusivement, à l’intersubjectif ; imaginaire, marqué d’emblée par la dimension symbolique ;
  • Elle peut être indépendante du schéma corporel, mais fondamentalement s’y articule par le narcissisme, « originé » dans la « charnalisation » du sujet ;
  • Toujours inconsciente, elle se construit dans la relation d’une image de base, d’une image fonctionnelle et d’une image des zones érogènes (où s’exprime la tension pulsionnelle).



C’est grâce à cette image du corps, portée par -et croisée à- ce schéma corporel que l’individu peut entrer en communication avec autrui. Tout contact à l’autre est sous-tendu par l’image du corps, car c’est dans cette image/support du narcissisme, que le temps se croise à l’espace ; que le passé inconscient résonne dans la relation présente.
Dans le temps actuel, se répète en filigrane toujours quelque chose d’une relation passée. La libido est mobilisée dans la relation actuelle, mais peut s’en trouver réveillée une image de relation archaïque, qui était restée refoulée, et qui fait alors retour.

L’Image Inconsciente du Corps, F.DOLTO, Coll Points/Essais, Editions Seuil 1984


Poursuivant l’entreprise de présentation synthétique de l’œuvre de F. DOLTO, il s’agit dans cette contribution, d’aborder pour les définir, les aspects dynamiques de l’image du corps : image de base, image fonctionnelle, image érogène. Le contenu de l’une influençant la suivante, ses images se développent au fil de la vie et des évènements qui la jalonnent. Cela signifie aussi qu’elles sont sollicitées quotidiennement : l’implication dont elles font l’objet les mobilise de façon résultante dynamique.

A-Image de BASE


  • C’est l’image première et fondamentale qui permet à l’enfant de se ressentir dans une continuité narcissique, dans une continuité spatio-temporelle qui demeure et s’étoffe (malgré les modifications qui affectent son corps, les changements et en dépit des épreuves) ;
  • Elle construit le sentiment du « même », base élémentaire de la cohésion narcissique : « C’est la « mêmeté », fortement ou ténuement pérenne qui génère le sentiment d’exister qui arrime le corps au narcissisme » (p.50);
  • C’est le narcissisme primordial qui construit l’intuition vécue d’être au monde pour un individu.
  • Alors même qu’elle se construit dès la vie utérine, elle s’élabore comme signifiant donnant sens à l’identité sociale, symbolique. Là résident la valeur et l’importance du prénom… Au moment du passage fœtus à nourrisson, le prénom est reçu des instances tutélaires, lié au corps visible pour autrui, qui signifie pour lui, son ancrage dans une réalité (la sienne), dans sa pérennité existentielle ;
  • De fait, cette image de base ne peut être atteinte sans que surgissent aussitôt une représentation, un fantasme qui menacent la vie même. L’altération de l’image de base s’exprime en général par un état phobique, moyen spécifique de défense contre un danger ressenti comme « persécutif » (la représentation de cette persécution fantasmée étant elle-même liée à la zone érogène actuellement prévalente chez le sujet)

  • A chaque stade de développement correspond une image de base, s’arrimant à un schéma corporel spécifique :

  1. Stade ombilical : L’image de base est associée aux fonctions respiratoire, olfactive, auditive. Le schéma corporel impliqué est le cavum et le thorax ;
  2. Stade oral : L’image de base s’étoffe et concerne, au-delà de l’image précédente, les fonctionnalités buccale, laryngo-pharyngée. Le schéma corporel correspondant est le ventre et l’appareil respiratoire, au-delà du cavum et du thorax ;
  3. Stade anal : L’image de base se déploie encore et aborde les fonctionnements de rétention et d’expulsion, dans la partie basse du tube digestif. Au niveau du schéma corporel, se développe la perception tactile, sensible des fesses et du périnée. Là encore, ce schéma complète celui déjà atteint aux stades antérieurs

F.DOLTO envisage ces premiers stades, mais le développement se poursuit au-delà !


B-Image FONCTIONNELLE


  • C’est une image à dimension « sthénique », alors que l’image de base a une dimension statique. Elle vise l’accomplissement du désir ;
  • Cet accomplissement passe par la médiation d’une demande localisée dans le schéma corporel, en un lieu érogène, où se fait sentir spécifiquement le manque provoquant le désir ;
  • C’est via le canal de cette image que les pulsions de vie peuvent s’objectiver dans la relation à autrui et au monde, à se manifester pour obtenir le plaisir, après s’être subjectivé dans le désir.


C-Image EROGENE


  • Elle est associée à l’image fonctionnelle du corps dans ce lieu où se focalise plaisir ou déplaisir érotique, dans la relation à l’autre ;
  • Sa représentation fait référence à des cercles, des concaves, ovales, boules, traits et trous, imaginés doués d’intentions émissives, actives ou réceptives (passives), à but agréable ou désagréable.

Ces 3 composantes sont dynamiques : elles évoluent, se transforment, se remanient au fil des épreuves et limitations qu’expérimente le sujet, au travers une série de castrations « symboligènes ».


D-Image résultante DYNAMIQUE


  • Elle correspond au désir d’être et de préserver l’avenir, ou encore « l’advenir » ;
  • Ce désir, fondamentalement frappé du manque est toujours ouvert à l’inconnu, sur l’inconnu ;
  • Cette image est en-dehors de toute représentation propre : elle est tension, tension d’INTENTION ;
  • Le mot le plus adapté pour la caractériser serait le verbe actif « désirer », incarnant le verbe « aller » du sujet « désirant, devenant » ;
  • « L’image dynamique exprime en chacun de nous l’Etant, appelant l’Advenir : le sujet en droit de désirer, j’aimerais dire en « désirance » » (p.58)

  • Sans représentation propre, elle est de fait inaccessible à tout évènement castrateur. Elle peut seulement être soustraite au sujet, par un état phobique : l’objet phobique vient alors barrer l’image dynamique de son trajet désirant, le menaçant dans son droit d’être.

a-Image dynamique ORALE


  • Associée au besoin, elle est centripète en sens de trajectoire, et relève du schéma corporel ;

b-Image dynamique ANALE


  • Associée au désir, elle centrifuge, et relève de l’image corporelle correspondante ;

c-Image dynamique GENITALE


  • Associée à la fois au besoin et au désir, elle est centripète (essentiellement chez la femme), et centrifuge (chez l’homme).

Remarque : L’accouchement, autrement appelé « délivrance », correspond à une image dynamique expulsive, centrifuge.

L’Image Inconsciente du Corps, F.DOLTO, Coll Points/Essais, Editions Seuil 1984


Cette partie de l’œuvre de F.DOLTO est présentée en abordant spécifiquement les thèmes suivants :

  • L’évolution des images du corps ;
  • La notion de castration ;
  • Les différentes castrations.

La contribution présente propose de s’intéresser eux 2 premiers aspects, afin de préparer la partie suivante, nécessitant la compréhension et l’adoption des notions antérieures.

  • I-L’évolution des images du corps

  • Cette évolution est toujours dépendante des difficultés rencontrées dans l’accomplissement du désir.
  • Ce désir, agissant dans l’image du corps dynamique, cherche à s’accomplir grâce à l’image fonctionnelle et érogène, dans le cadre desquelles il se focalise pour atteindre un plaisir, par la saisie de son objet, via son objet.
  • Or, sur sa trajectoire, le désir se trouve confronté à des obstacles, qui inhibent, retardent sa réalisation : parce que le sujet n’a pas un désir suffisant, parce que l’objet de son désir est absent ou lui est interdit.
  • C’est d’abord le jeu de présence/absence de l’objet de satisfaction du désir qui institue la prévalence de telle ou telle zone érogène.

Le désir débordant toujours le besoin, les lieux de perception subtils (cavum, ouïe, vue puis, plus tard l’anus, le vagin/le pénis) deviennent des zones érogènes du fait :
  • de leur contact avec l’objet partiel d’apaisement, en relation avec la mère (plus tard, le partenaire sexuel) ;
  • de l’absence médiatisée par le langage, quand l’objet est absent. De cela vient l’importance primordiale accordée par l’auteure, à la mère en tant qu’objet total, verbal et para-verbal (mimiques, gestuelles, voix et modulations de celle-ci), en intercommunication avec son enfant. [Parlant à son enfant de ce qu’il voudrait mais n’aura pas, elle lui médiatise l’absence de l’objet et/ou la non satisfaction d’une demande de plaisir partiel, tout en le valorisant par le fait qu’elle en parle, mais surtout lui en parle. Par exemple, en lui exprimant « Non, fini … la tétée est terminée etc », elle lui met des mots en bouche, permettant à cette bouche d’être envisagée comme autre chose que simple instrument d’assimilation. La bouche acquiert une valeur, détachée du besoin et du désir.]

Conclusion : Le narcissisme repose sur une continuité de l’être dans sa relation à la mère d’abord, puis à l’objet. En dépit de cette continuité, ce narcissisme subit inévitablement des remaniements. En effet, dans le cadre de la vie et de l’ouverture au monde, il se heurte à des désillusions, des obstacles qui s’opposent à la réalisation des désirs. Ces épreuves, appelées castrations, vont permettre la symbolisation et du coup, le modelage de l’image du corps.
Si on accepte l’idée de castration comme interdit radical s’opposant à la satisfaction du désir, il en résulte que l’image du corps se structure grâce « aux émois douloureux articulés au désir érotique, désir interdit après que la jouissance et le plaisir ont été connus et répétitivement goûtés » (p.71)

II-Notion de castration 


A-Aspects définitionnels


En français, la castration désigne la mutilation des glandes sexuelles : il s’agit donc d’une atteinte physique, qui rend stérile.
En psychologie et psychanalyse, il s’agit d’un processus qui s’accomplit chez un être humain lorsqu’un autre lui signifie que l’accomplissement de son désir –sous la forme qu’il voulait lui donner- est interdit par la loi. Cette signification passe par le langage (verbal et para-verbal).

B-Notion de castration symboligène


  • La réception de l’interdit est toujours un CHOC, qui s’accompagne d’un renforcement du désir devant l’obstacle, avec ou non révolte (laquelle est mise à mal, voire abolie dans l’annulation du désir).
  • La castration est donc une épreuve d’inhibition, à effet dépressif, conduisant au refoulement des pulsions plutôt qu’au renoncement de l’objet de désir, et des modalités de satisfaction, lesquelles atteignent la valeur même du désir (pouvant entraîner une mutilation des sources pulsionnelles.

  • Est symboligène, ce qui fait SENS, apporte du SENS, de la signification et ouvre au désir. La castration l’est lorsqu’elle permet au sujet de se construire et s’épanouir. Un processus du même type la taille, la coupe de la première fleur, afin de favoriser les floraisons suivantes : si la plante pensait, elle croirait subir une mutilation, alors que le jardinier lui assure les conditions les plus favorables à la floraison ultérieure (p.79).

*C’est la verbalisation de l’interdit (à condition que l’administrateur de cet interdit le respecte lui-même) qui aide à supporter l’épreuve, et renforce la confiance du sujet en l’adulte qui a interdit ;*L’interdit humanise et renforce le désir, avec transformation, mutation de la perception de la loi : au départ, sur l’instant, elle est perçue comme mutilante, puis « promotionnante », en cela qu’elle stimule un AGIR en harmonie avec la communauté des hommes.


  • La castration atteint sa valeur symboligène en intégrant :

*la nécessité pour le schéma corporel de l’enfant de la supporter : il s’agit de respecter l’intégrité la plus ténue, l’intégrité originelle du sujet, spécifiant le continuum de l’image du corps ;*la nécessité de respecter le développement de l’enfant : il existe un juste moment pour amener une castration… Ce moment, c’est celui où les pulsions (celles en cours) ont apporté un certain développement du schéma corporel, rendant l’enfant capable d’aménager ses plaisirs autrement que par la satisfaction totale d’un corps à corps ;*la nécessité pour l’adulte tutélaire d’être reconnu, éprouvé dans ses qualités d’agent susceptible de donner la castration.


C-Fruit des castrations


a-Fruit de la castration orale
La castration orale est le sevrage du corps à corps nourricier. De fait, il est aussi la possibilité d’accéder au langage, qui ne soit pas uniquement compréhensible pour la mère mais aussi pour les autres. Cela permet progressivement de ne plus être dépendant d’elle exclusivement (d’autres bras que les siens peuvent assurer certaines fonctions, en maintenant le lien de sécurité… Cela n’est possible que si la mère elle-même accepte de laisser l’autre…). Cette castration peut être considérée comme acceptée lorsque l’enfant ajoute le langage mimique et gestuel à son schéma corporel.

b-Fruit de la castration anale
La castration anale est une rupture du corps à corps tutélaire de la mère (par rapport à l’enfant). Il est une privation du plaisir de manipulation partagé avec la mère, au moment où elle continue de laver, faire manger, essuyer, faire déambuler l’enfant, alors même que celui-ci est tout à fait capable de le faire seul. Il s’agit pour l’enfant d’une souffrance liée à la privation des contacts corporels avec la mère.
Si le parent n’accepte pas lui-même cette castration, l’enfant reste dans une attitude docile de dépendance, entretenant le fantasme du parent qu’il a besoin de lui pour ces actes basiques de la vie quotidienne (lui permettant ainsi de justifier son investissement auprès de l’enfant, à un âge où il devrait être autonome).
  • Cette castration est délivrée par la mère au travers une assistance verbale, mais aussi technique, pour stimuler l’enfant à faire ses propres expériences, à accepter une autonomie expressive, motrice, concernant ses besoins, et nombre de ses désirs, dans un espace sécurisé (le parent n’est jamais loin).
  • Cette castration, interdit du corps à corps, est condition sine qua none de l’humanisation et de la socialisation vers 24-28 mois (2ans, 2ans1/2)
  • Cette castration met fin à la dépendance parasitaire à la mère et permet la découverte du père, dans une relation vivante, puis très vite après avec l’autre, les autres. La castration anale est donc aussi une façon d’entrer dans l’AGIR et le FAIRE en société, avec intégration des limites imposées par la vie en collectivité.

Une fois cette castration opérée, par délivrance de l’interdit et répétition de cet interdit par ces adultes en qui il a confiance, l’enfant peut réellement commencer à prendre part à tout, en toute circonstance, en tant qu’être vivant dans le groupe d’autres êtres vivants, comme lui.
La fréquentation de pairs, extra-familiaux, est alors fondamentale. Sans se couper de sa famille, de son cercle d’origine, c’est la fréquentation d’autres façons d’être au monde (autres modèles, références) qui lui permet de réaliser et d’intégrer le fait que ces autres façons existent !

c-Fruit de la castration oedipienne (castration par interdit de l’inceste)
La castration oedipienne est la fin de l’idée pour l’enfant qu’il pourra « épouser », « être l’objet sexuel » du parent du sexe opposé, l’amenant à s’identifier au parent du même sexe. De fait, l’angoisse qui découle de sa rivalité avec le parent du même sexe s’apaise lorsqu’il intègre qu’il pourra avoir un statut du même type en choisissant son objet en dehors de la cellule familiale. Parce qu’il ne peut assurément plus se satisfaire à l’intérieur de cette cellule, il explore l’extérieur, s’ouvre à la société.
  • Aux pulsions orales, anales, urétrales qui ont déjà été castrées au moment du sevrage et au cours du développement de l’autonomie du corps, s’adjoignent les transformations « subtiles », par manipulation fine des objets que sont les mots, les outils de la syntaxe, les règles de jeux etc.
  • La sublimation des pulsions génitales (après la castration oedipienne, vers 6-7 ans) s’étale sur toute la période dite de latence (de 7-8 ans à 12 ans environ), et s’exerce sur des objets extra-familiaux, au travers de relations sociales d’échanges suivant la loi, et dans l’effort de l’enfant de se promotionner en vue d’une puberté, qui sera elle, la phase de tous les remaniements, de l’ébranlement notamment des castrations antérieures mal réussies.
  • C’est à l’issue de l’adolescence que toutes les castrations doivent être opérées et acceptées pour que puissent éclore les potentialités sensuelles, créatrices, sans décompensations pathogènes… (« les adolescents devenus responsables de leur parole symbolique, de leur personne, de leurs actes pleinement assumés dans la vie amoureuse et sociale, deviennent des adultes, les égaux de leurs géniteurs » (p.77)).

III-Réflexion sur le travail en PA : une efficacité basée sur l’acceptation de la position régressive, antérieure à l’Œdipe (avant la castration phallique en PA) ; sur la modification de la position transférentielle conséquente.


La position de l’analyste (face souvent, derrière parfois) et son aptitude à entendre besoin et/ou désir de l’analysant constitue l’un des atouts majeurs de cette pratique analytique. En effet, elle permet au travail de se faire avec des analysants en situation pré-oedipienne, en acceptant l’idée que la règle de frustration freudienne suppose l’expression d’un désir, là où il s’agirait bien plus d’un besoin fondamental, primitif, archaïque (avant l’Œdipe donc). C’est parce qu’il accepte précisément à ce besoin, que l’analyste en PA permet à l’analysant de se poser, se sentir sécurisé, assuré et suffisamment rassuré pour pouvoir se fier et se confier… Au stade de développement qui est le sien, cette position, cette attitude, ce lien analysant/analyste sur lequel il peut et doit pouvoir compter lui permet de reprendre les stades fragilisés de la période de vie concernée, en en revivant émotionnellement les étapes (agrippement, attachement, distanciation accompagnée, ouverture, relations extérieures etc).

Au fil de l’analyse, ce climat de sécurité, cette conviction profonde qu’a l’analysant de toujours pouvoir s’exprimer en-dehors de tout jugement, en restant garanti dans son libre arbitre, lui assure le contexte favorable à une évolution du comportement en harmonie avec ce qu’il est lui, vraiment, en tant qu’être accompli, connaissant ses désirs profonds, acceptant les conséquences de ses actes. C’est ce climat de sécurité qui permet à l’analysant de vivre les castrations symboligènes données par l’analyste, qui ont achoppé dans son histoire. Il apprend se faisant à employer, apaiser, sublimer également ses pulsions dans l’investissement culturel, intellectuel, social etc.

L’Image Inconsciente du Corps, F.DOLTO, Coll Points/Essais, Editions Seuil 1984



Cette partie de l’œuvre de F.DOLTO est présentée en abordant spécifiquement les thèmes suivants :
  • L’évolution des images du corps ;
  • La notion de castration ;
  • Les différentes castrations (pré-oedipiennes).

La contribution présente propose de s’intéresser au dernier point : Les castrations ombilicale, orale, et anale.

I-Castration ombilicale

  • Caractérisant la section du cordon ombilical et sa ligature, cette castration est physiquement un acte violent, tant pour la mère que l’enfant. Elle vient séparer définitivement le corps de l’enfant de celui de sa mère, le rendant de ce fait viable.
  • C’est cette castration qui origine le schéma corporel dans les limites de l’enveloppe peau, et des enveloppes incluses déjà in utero qui lui sont laissées.
  • 3 éléments caractérisent cette phase : la mutation des ressentis, la prédominance de l’élément auditif « prénom », le développement de l’ouïe et d’un langage (archaïque)

A-Mutation des sentis, ressentis, des perceptions


a-Délivrance
  • A ce temps, correspond : la perte des pulsions auditives passives (double battement du cœur de la mère, et réceptivité aux sons graves du père) ; apparition de la soufflerie pulmonaire ; l’activation du péristaltisme du tube digestif.
  • Le cri manifeste l’évacuation du corps de l’enfant, en même temps que celle du contenu substantiel intestinal.

b-L’après délivrance
Apparaissent et se développent : la respiration ; le cri-les pleurs comme moyen de communication primitif ; l’olfaction (avec prédominance de l’impact olfactif de la mère) ; l’intensification des capacités auditives notamment en relation avec les voix connues ; la sensation de masse (par la préhension, les opérations de soins et de portage qu’il vit) ; l’éblouissement de la rétine par la lumière.

B-Prédominance de l’élément auditif « prénom »


L’acte de nommer, prénommer est en lui-même une activité narcissisante pour l’enfant qui le reçoit : un prénom se choisit, il a une histoire, relève d’un désir particulier. L’enfant engramme très vite ce prénom et le plaisir que sa répétition provoque chez son entourage. Au contraire, si pour une raison ou une autre (complication de l’accouchement et survenue de maladie de la mère par exemple), le prénom est empreint de peine, de douleur chez celui ou celle qui le prononce, alors c’est toute la base narcissique qui s’en trouve affectée.

C-Fondement du langage : l’ouïe


C’est via le développement de son ouïe que l’enfant accède à un premier mode d’échange langagier avec son environnement, via le jeu des « effets/contre-effets » de son être sur le contexte émotionnel des parents.

D-Défaut de castration ombilicale

Parce que l’enfant à ce stade entend plus qu’il ne parvient à dire avec le langage de son groupe intime, il est extrêmement sensible à tout ce qui se dit, ou ne se dit pas. Aussi, les pathologies psychotiques, exprimant un être interdit de vivre pour son propre compte, trouveraient leur source davantage dans un élément psychogène de l’accueil tû, non communiqué, plutôt que dans des évènements ultérieurs. De même, des difficultés de développement, liées à une naissance catastrophique par exemple, servent à ancrer une psychose. L’analyse parvient à tirer l’enfant ainsi marqué de cet état, prouvant que les troubles fonctionnels ou lésionnels précoces ne parviennent pas de blessures physiologiques, mais bien qu’elles témoignent d’émois et d’affects partagés, sur le mode de la violence souvent, sans qu’ils aient été signifiés en paroles, dites à temps, « fussent-elles des paroles infirmant le droit à la vie symbolique de l’enfant » (p.96).


I

I-Castration orale


  • Elle est la privation imposée au bébé sur le mode de l’assimilation nourricière (physique, concrète, alimentaire). Le sevrage (en fait une succession de sevrages sein/biberon-tétine/cuillère) exprime un empêchement à poursuivre une alimentation, et un mode d’alimentation, qui deviendrait mortifère poison sans cela.
  • Judicieusement menée, elle aboutit au désir et à la mise en fonction du parler (mode du babillage).
  • En général, le sevrage est opéré vers 6-8 mois, concomitant de l’apparition des premières dents.

A-Rôle de la mère

Cette castration implique de la mère qu’elle soit elle-même, et peut-être d’abord elle-même, capable d’accepter la rupture du corps à corps, pour entrer en communication avec l’enfant autrement qu’en lui donnant à manger.

a-Signes, repères
La castration orale ET de l’enfant, ET de la mère est observable en cela que la mère prend plaisir encore plus grand à parler à l’enfant, à le guider dans ses phonèmes pour qu’ils deviennent parfaits dans la langue maternelle, à l’accompagner dans sa motricité pour ce qui est de prendre et jeter les objets, qu’à le nourrir
C’est dans la joie, le plaisir de la mère à assister aux progrès de l’enfant (vers un plaisir et une satisfaction du désir dans un circuit court, c’est-à-dire toujours à proximité de la mère) que s’ancrent les échanges langagiers ludiques avec d’autres personnes [possibilité de relation symbolique qui se met en place]. Cela suppose de la mère la capacité à accepter que l’enfant, son enfant, soit aussi heureux dans les bras d’autres personnes que dans les siens.

b-Moment le plus favorable
Pour l’auteure, c’est juste après la tétée, lorsque l’enfant est animé, tout en étant apaisé du point de vue de son besoin d’alimentation, et juste avant de s’endormir, que la mère, la nourrice, peut apporter cette castration. En plaçant à sa portée divers objets, en les parlant, les décrivant (« c’est chaud, rugueux, métal etc »), elle crée un espace symbolique. Ces mots donnés par la mère vont venir par répétition interne combler l’absence… En ce sens, ils remplacent efficacement doudou et autre pouce. En effet, l’utilisation de la bouche et des mains, dans une relation auto-érotique, exprime un sevrage manqué, carencé, dans le cadre d’une relation où l’enfant continue à s’illusionner la présence de la mère et surtout sa relation à elle dans la relation bouche-pouce, par exemple.

B-Effet symboligène de la castration orale

  • C’est l’introduction de l’enfant, en tant que séparé de la présence absolument nécessaire de la mère, dans une relation à l’autre. L’enfant est alors « advenu » à des modalités de comportement langagier qui lui font accepter l’assistance de toute personne avec laquelle la mère est en bons termes.
  • C’est donc aussi l’assimilation de la langue maternelle : première langue dans laquelle les mots ne sont pas encore reconnaissables, mais où l’intention et le désir intense de communiquer avec l’entourage est nettement perceptible par cet entourage.
  • Enfin, le sevrage du corps à corps promeut, chez un enfant qui n’est pas constamment avec ses parents, une manipulation intensive de la langue comme outil de communication, mais aussi des objets proches.
    Rq : La joie, l’enthousiasme, le dynamisme de l’enfant sont très largement corrélés aux états émotionnels de la mère.

C-Défaut de castration orale

  • L’aspect le plus facilement observable est le défaut de communication, d’investissement de l’espace relationnel : l’introversion « maladive » peut marquer l’échec de cette castration ;
  • Elle est en général et conséquemment, accompagnée, d’une satisfaction auto-érotique des pulsions visant la satisfaction du désir de l’objet mère ;
  • Enfin, la phase d’âge correspondant à cette castration désigne le moment propice au développement d’une pulsion sadique orale (par manque de paroles).


III-Castration anale


A-Définition

L’expression recouvre 2 acceptions complémentaires : second sevrage, premiers interdits.
Elle caractérise l’interdit de nuire à son propre corps et à celui du monde autour, par des agissements moteurs rejetants, dangereux, ou non contrôlés.

a-Second sevrage
  • C’est la séparation de l’enfant, capable de motricité volontaire de sa mère, assistante, auxiliaire précieuse de ses premiers pas, de ses premiers « agirs » plus ou moins maladroits, jusqu’à ce qu’il sache faire tout seul ;
  • L’enfant cesse d’être l’objet partiel retenu dans la dépendance à l’instance tutélaire. Il acquiert une autonomie qu’il revendique (« moi, pas toi »).

b-Premiers interdits
  • Ils englobent l’interdit de tout « agir » qui pourrait être nuisible pour lui-même ou pour autrui.
  • Ces interdits sont vécus sur le mode de la frustration d’abord, mais renforcent vite la confiance en la figure des parents, dès lors qu’en les transgressant l’enfant se rend compte qu’il en souffre (agissements nuisibles pour lui).
  • Ils sont également frustrants en ce sens qu’ils inhibent le désir de faire ce que l’on veut, n’importe quand, n’importe où avec n’importe qui, mais deviennent acceptables et sont rapidement acceptés, lorsque qu’ils sont donnés par une personne en qui l’enfant peut s’identifier, et qui, elle-même respecte l’interdit auquel elle le soumet.

B-Effet symboligène

A sa racine même, la castration anale est l’interdit du meurtre et du vandalisme, au nom de l’harmonie dans une communication langagière et gestuelle, où chacun prend plaisir à s’accorder avec les autres : elle est donc l’initiation aux libertés du plaisir moteur, partagé avec autrui.

C-Pourquoi appeler cette castration « castration anale »
Cette castration est ainsi dénommée parce qu’elle se donne au moment du développement correspondant à la phase anale : c’est-à-dire au cours de l’expérimentation d’une toute première forme de motricité, qu’est la motricité sphinctérienne, accompagnant le plaisir/déplaisir que l’enfant partage avec la mère (ou la personne donnant les soins), puisqu’elle vient, rapte la production et revient !

D-Attitude des parents, ou, comment donner la castration anale
  • Le présupposé de la castration anale est le respect, la reconnaissance de l’enfant comme sujet, même si son corps est encore immature, sans confondre ses agissements avec l’expression qu’il en a, tant qu’il n’a pas atteint la totale autonomie au sein du groupe familial.
  • Lorsque le système moteur se développe et que la castration orale a été symboligène, les soins maternels au siège de l’enfant s’accompagnent de paroles, de jeux, de toute une relation affective à la mère, au cours de laquelle se développe de jour en jour le schéma corporel.
  • C’est à l’occasion de ces jeux moteurs (4 pattes, déplacements de lui-même et de tous les objets environnants) que sa motricité devient un « problème » pour la mère. Pour résoudre celui-ci, soit elle réduit la liberté ; soit au contraire, elle suscite le plus possible ses déplacements, dans un espace aménagé, garantissant le déplacement explorateur, en toute sécurité.
  • La castration est réussie lorsque l’enfant prend plaisir à se mouvoir, en bravant les interdits, dans une prise de risque mesurée ; qu’il devient industrieux, dans un rapport au monde désirant.
  • Elle ne peut être donnée de façon symboligène que par une identification motrice et sexuelle à un objet total de son environnement.

Conclusion : La castration anale se délivre donc progressivement. Elle guide l’enfant à maîtriser lui-même sa motricité, au-delà de sa caractéristique excrémentielle. Désireux de faire comme le grand (modèle envié), il cherche à braver l’interdit. L’attitude parentale qui consiste à féliciter l’enfant s’il y parvient sans nuire, garantit un renforcement du désir de « devenir grand » et de se faire reconnaître dans ses capacités par l’entourage intime (renforcement de l’estime de soi). Il en découle que les adultes capables de donner une castration anale symboligène sont ceux qui ne projettent pas leur angoisse à tout propos sur les agissements des enfants dont ils sont responsables. Ce sont ceux qui sont capables de répondre aux questions que leur posent ces enfants, sans aller au-delà de ce qui est demandé ; qui sont aptes à aider judicieusement quand se produit énervement, découragement de ne pas réussir à faire ceci ou cela, faute d’en avoir les moyens (capacité physique par exemple) ou faute d’utiliser une technique plus adéquate.


E-Défaut de castration anale : défaut de symbolisation et de motricité dans les actes utiles et ludiques

  • Lorsque la symbolisation ne peut se faire par défaut d’initiation, de contrôle, de paroles, de gaîté ludique avec l’entourage, l’enfant ne peut sublimer le plaisir ano-rectal : il y revient par manque de déplacements sur des objets partiels autres (c’est-à-dire ailleurs qu’en son propre corps).
  • Il revient à un mode de communication antérieur, celui qu’il avait avec la mère intérieure, c’est-à-dire sur le mode du « jouer à retenir (constipation) ou à extérioriser (diarrhée) », de façon incontinente. Et puis, c’est en général un enfant qui s’ennuie, en ce sens que la mère reste imaginairement intérieure pour lui, au lieu de pouvoir être représentée, inconsciemment, dans tous les objets extérieurs qu’elle a nommés et qu’elle autorise de manipuler.
  • Enfin, si le sadisme est oral suivant l’auteure, l’attitude perverse, elle, résulte davantage d’une carence au moment où doit être donnée la castration anale. Puisque cette castration correspond à l’interdit de détérioration, du rapt des objets d’autrui, et de toute nuisance aux dépens du corps, mais aussi des objets, la castration « loupée » entretient une pulsion visant la satisfaction d’un plaisir destructeur.

L’Image Inconsciente du Corps, F.DOLTO, Coll Points/Essais, Editions Seuil 1984


Cette partie de l’œuvre de F.DOLTO est présentée en abordant spécifiquement les thèmes suivants :
  • L’évolution des images du corps ;
  • La notion de castration ;
  • Les différentes castrations.

La contribution présente prolonge le travail antérieur, en s’intéressant maintenant au passage de la castration primordiale (stade du miroir) aux castrations dites primaire et secondaire (synthèse).
 

I- Précisions définitionnelles

Les notions de castrations primaire et secondaire renvoient à l’aspect nodal organisateur du complexe d’Œdipe. La castration primaire serait alors celle qui est donnée avant l’Œdipe, et la secondaire serait celle donnée après l’Œdipe.

Le passage fondamentalement important préalable à la castration primaire est le stade du Miroir, comme base, fondement du narcissisme individuel. 

II- Le stade du miroir

 

A- Définition

C’est le stade au cours duquel, l’enfant encore immature dans son langage, sa motricité, qui perçoit encore son corps comme simple prolongement de celui de la mère, intègre sa dimension unique de sujet, dans un corps propre (distinct donc de celui de la mère), pouvant entrer en communication avec l’autre, par conséquent, par l’usage du langage (en l’occurrence celui du groupe, de la cellule familiale dans lequel il se trouve).

B- Etapes de l’expérience scopique et ses apports

  • L’enfant perçoit une image, l’image d’un autre… qui bouge comme lui… qui suscite son intérêt. Ne parvenant à atteindre cet autre, il se tourne vers la mère (ou l’adulte tutélaire qui est là). C’est la parole de cet adulte-là qui vient permettre la réalisation de l’expérience. En signifiant « C’est Toi… X… Regarde, ce sont tes cheveux, etc », en disant, en exprimant dans son regard, les intonations de sa voix, la mère (par exemple) permet à l’enfant de s’organiser, se percevoir en corps propre.
  • L’enfant intègre alors la dimension motrice de son corps, un corps avec des caractéristiques différentes de celles de la mère, un corps avec un visage… dont il est parlé, dit des choses (le contexte émotionnel de la personne impacte l’impression et la réception de l’enfant de son corps et de son visage).
  • Le corps s’unifie, l’identité se construit sur des bases observables. Les fondements du narcissisme s’établissent (narcissisme primaire).

Avant cette expérience du miroir, c’est le schéma corporel maternel qui donne sens au narcissisme primordial, archaïque, « pré-moïque » de l’enfant. L’enfant s’informe de l’inconscient maternel et s’y accorde, se conformant à la façon dont elle le regarde. Tout son être s’accorde aux émois que suscite sa présence aux gens qui s’occupent de lui. Sa « vivance » (caractère passif) et sa vitalité (sens actif, moteur), son sexe, s’accordent aux émois ressentis par ces personnes qui s’occupent de lui et revivent l’histoire de leur propre narcissisme. La perception de son corps (volumes et trous) passe conjointement par le contact des mains de la mère avec ses surfaces corporelles et par l’exploration, avec ses mains à lui, du corps de la mère.

Ce n’est qu’avec le miroir que l’image du corps qu’il voit, informe son propre schéma corporel, dans un échange langagier qui construit l’image du corps pour le sujet en référence à sa mère. Cela signifie qu’il n’en découvre l’apparente intégrité, le caractère euphorisant ou non, que si son narcissisme se satisfait de l’image vue dans le miroir, et que tout autre pourrait donc également voir.

  • Dans le prolongement, c’est après l’expérience individuelle du miroir que l’enfant commence à s’intéresser aux corps des autres. Cette découverte de SON corps par rapport à celui des autres, semblable et différent, de dos comme de face, lui permet d’intégrer le fait même d’être humain (et d’abandonner se faisant, le vécu d’animalité auquel il pouvait croire avant cette expérience scopique).

C- Rôle essentiel de la mère (ou parent, adulte nourricier et apportant les soins)

  • La dimension scopique seule de l’expérience du miroir ne permet guère à l’enfant de s’ancrer en tant qu’être unique, vivant et humain, distinct du corps de la mère et en relation avec des autres construits comme lui et différemment aussi.

Avec la surface plane, sans autre, l’enfant risque de se perdre dans son image (cela pouvant conduire à une forme de schizophrénie). Certains autres enfants sombrent quant à eux dans l’autisme, par contemplation de leur image dans le miroir, en tant que supplétif de l’autre absent, venant illusionner la/une présence, une relation à l’autre. Cet enfant finit par se contenter de cette image pour communiquer… avec l’autre/lui.

Une glace seule n’apporte que dureté, froideur, ou encore l’idée d’une eau dormante, dans laquelle, attiré par cette eau, l’enfant tel Narcisse, ne rencontre jamais personne… il ne rencontre qu’une image, qui infirme le sentiment d’exister.

  • Le narcissisme primaire s’ente vraiment sur le narcissisme antérieur, primordial, au travers l’échange langagier et émotionnel avec la mère. C’est la retrouvaille rythmée de références spécifiques de la mère qui est nécessaire à la pérennité de la cohésion narcissique de l’enfant.

D- Les écueils de cette phase

  • L’absence prolongée de la mère, entretient un rapport du moi/moi, illusionnant la présence absente, base possible d’un autisme de l’enfant. Quand cette absence est « compensée » d’un illusion de multiples autres (comme ce serait le cas avec une salle pleine de miroirs), l’enfant peut entretenir un rapport au monde-lui et pleins d’autres-lui, contexte favorable à une forme de schizophrénie ;
  • La carence langagière dévalorise toujours l’enfant en ce sens qu’il se perçoit comme l’objet du manque d’émois affectifs de sa mère, ce qui impacte foncièrement son fondement narcissique (narcissisme primordial affecté, puis primaire en conséquence) ;
  • La construction du Moi-Je, en tant que femme/homme, se fait toujours par référence au vagin/phallus des membres de la famille (parents, mais aussi possiblement frères et sœurs). Si le parent/référent de son sexe lui paraît dévalorisé par l’autre ou par rapport à l’autre (les propos, les comportements dépréciatifs etc), alors il ne peut pas se sentir valeureux d’être homme ou femme.

**L’enfant peut alors se ressentir avec un visage correspondant à ce qu’il est (fille ou garçon), mais avec un sexe dont il dénie les sensations (avant de les refouler plus tard), un sexe dont il n’accepte que les plaisirs fonctionnels (aller à la selle, uriner ou non etc) ;**L’enfant peut encore bien se sentir avec un visage correspondant à ce qu’il est (fille ou garçon), avec un sexe correspondant bien à ce qu’il se sent être, mais dont les comportements psycho-sociaux (façon de parler, attitudes etc) trahissent une incapacité d’acceptation. En fait, en société, il devient incapable d’accorder son visage et son sexe…


Dans les 2 cas, l’enfant se sent humain, mais de sexe indifférencié, indifférenciable ?
Il ressent ou bien un visage, ou bien un sexe, l’un ou l’autre domine, mais ne se correspondent pas. Quand il se ressent sexué, il se vit sur le mode de l’animalité ; quand il parle, il se sent humain, mais de sexe indéterminé. Entre ces 2 modes d’être au monde, son expression est fragile, et il n’est plus cohésif.
« La réussite scolaire peut, en le valorisant parmi les autres, l’aider à GARDER la FACE, mais des psychoses, ou enclaves psychotiques, se fixent dans ces images d’alternatives, qui demeurent à bas bruit dans la structure neutralisée de l’enfant quant à son sexe… et qui se révèleront plus tard… car sur cette base dissociée, il ne peut ni s’engager dans l’Œdipe, ni le résoudre » (p.160).

III- La castration primaire [castration génitale, non Oedipienne]


1-Elle résulte d’une rencontre conjointe : de l’expérience initiatique pour l’imaginaire du miroir ; avec l’assomption du sujet (avec un visage garant d’un désir en accord avec son sexe) ; d’une intuition d’un avenir (sur les traces du modèle environnant).

  • Elle arrive après l’intégration mentale consciente des lois éthiques et anales (interdit du cannibalisme, du vandalisme et du meurtre), qui articulent au narcissisme, la fierté ou la honte, d’un agir, selon qu’il est perçu comme éthique ou non.
  • Elle est le pont entre la castration anale et la castration génitale oedipienne, qui la suit directement.
  • Elle se traduit par ces moments de honte, sentiment de pudeur (résultant précisément de l’expérience symbolique et dialectique du miroir) : ne pas se montrer nu, se cacher ou ne pas oser regarder à la fois le visage et le sexe d’une personne qui est dans la réalité constitutive du moi-idéal.

2-Il existe une personne-modèle pour l’enfant, qui se trouve être la référence de son Moi-Idéal ;
Ce n’est qu’avec l’expérience de l’Œdipe que se révèle pour l’enfant le sexe de cette personne.

3-Elle accompagne la phase de découverte de la différence des sexes (après 30 mois), de son sexe propre comme « maman » ou « papa », et subtilement, des lois de la fécondité, avec émergence du désir de parentalité en son avenir propre.

  • Vers 3 ans, selon l’initiation verbale qu’il a eue, l’enfant connaît son nom, son adresse, son appartenance familiale. Il est devenu capable de « s’auto-materner » assez pour ne pas mourir de faim s’il dispose de quoi manger à proximité, et de « s’auto-paterner » en prenant intérêt et plaisir à tout ce qui l’entoure, sans prise de risques dangereuse pour lui, et s’il connaît suffisamment l’espace dans lequel l’on introduit ses proches, il sait se conduire (socialement). Cet enfant grandit et devient désireux de s’identifier aux adultes tutélaires (parents/aînés parfois).

  • C’est alors que son obstination et son désir de savoir l’amènent à questionner l’origine et le fonctionnement des choses (« C’est quoi ? Pourquoi ? Comment ça marche ? etc »). De fait, il interroge le sexe, le sien, celui de l’autre qui est pareil ou différent ; la fonctionnalité du sexe ; et bien sûr, l’origine des bébés, et donc son origine à lui.
  • Le sexe est toujours une surprenante découverte, aussitôt référée au plaisir, que procure l’excitation de la zone…
  • C’est alors que les choses se compliquent parfois, les parents éludant assez systématiquement les questions : « il y aurait mystiquement, quelque chose de mal à poser ces questions » (p.171).

« C’est que les parents sont des adultes qui ont totalement oublié la manière de penser, et de sentir, de leur petite enfance, se sentant mis en question au plus intime d’eux-mêmes ; et sont stupéfaits, presque parfois gênés, d’avoir la révélation que leur enfant éprouve un plaisir qu’ils croyaient réservé aux adultes, en relation à des émois qu’ils imaginent liés à un sexe totalement développé, dans un corps aux caractères sexuels secondaires complètement apparents » (p.171).

  • Les paroles vraies au sujet du sexe, de sa fonctionnalité physiologique, de son rôle dans la reproduction, mais aussi dans l’obtention du plaisir (faire l’amour pour se faire du bien, autrement donc que dans l’unique perspective de se reproduire), l’ancrent, le réfèrent à la conformité de son sexe, le projettent dans un avenir de femme ou d’homme : « c’est cela qui donne valeur au langage et valeur sociale à son sexe et lui-même (…) [préparant] un avenir sain pour sa génitalité » (p.166).

IV- La castration secondaire [castration génitale Oedipienne]


Elle intervient au cours de la période qui suit directement la découverte de l’appartenance sexuelle de l’enfant, et accompagne la résolution d’une période conflictuelle et anxiogène dans la relation aux parents, appelée complexe d’Œdipe en psychanalyse.

A- Objet sexué…. Objet sexuel

  • Dès que l’enfant a la connaissance de son appartenance sexuelle, l’image de son corps évolue : elle n’est plus inconsciente, elle devient « consciemment celle qui doit s’accorder dans la réalité d’un corps qui sera plus tard celui d’un homme ou d’une femme » (p.186).

  • En tant que sujet, il éprouve un désir par rapport à l’avenir : celui d’être comme celui qu’il aime le plus à ce moment de sa vie (le père… en tout cas, le représentant phallique).
    [c’est la raison pour laquelle il est si important qu’il ait été répondu aux questions de l’enfant au sujet du rôle du père dans sa conception et sa naissance ; rôle suivant la nature de l’union sexuelle, rôle suivant la loi dans la reconnaissance de l’enfant (ou non) devant l’état civil et rôle affectif dans la prise en charge de l’enfant].

  • Au départ de cette phase, l’enfant s’envisageant comme sujet sexué et sexuel, souhaite rivaliser avec le père pour posséder la mère à lui seul… Le garçon reste sur cette position hétérosexuelle, tandis que la fille évolue de position homosexuelle à position hétérosexuelle.

*Dans le cas du garçon : le désir de la mère l’amène naturellement à s’identifier au père ; puis, une fois que la castration de l’interdit de l’inceste est donnée, il change d’objet de désir (la mère) pour un objet extra-familial ;*Dans le cas de la fille : le désir de la mère la met directement dans une situation de s’y conformer, de lui ressembler… (habillage, activités, etc) jusqu’à pouvoir lui rivaliser le père. C’est la castration oedipienne qui lui permet, comme le garçon, de chercher un autre objet que le père au sein de l’exotype social plus large.


B- Causes possibles de conflits oedipiens pathologiques

Les conflits oedipiens pathologiques (ceux qui entraînent une déréliction du sentiment d’appartenance au sexe qui est le sien) surviennent par exemple :
  • quand la mère, et quel qu’en soit le motif, n’a pas dit la vérité sur la filiation ;
  • quand les drames quotidiens sont continus, avec une mère subissant une attitude dévalorisante du père, amenant à méjuger le père, ou l’inverse.

Même si la situation parentale est compliquée (couples « boîteux », les mère/pères célibataires, les parents divorcés etc), l’important est de soutenir l’enfant, « l’aider à se prendre en charge et à parler, sans avoir honte de ce qui se passe (un enfant, même quand il vit des situations très difficiles, exprime toujours des choses positives de ses parents et du fonctionnement de leur couple (il trouvera toujours quelque chose pour les excuser). Si ses parents font problème, l’important est de l’aider à pouvoir continuer à se développer dans l’ordre de sa génitude ; il doit être soutenu dans l’effort pour garder confiance en lui en tant que leur fille/fils (« soutenir le narcissisme de l’enfant », p.187).

C- Le PERE, le PHALLUS dans l’Oedipe

  • La castration secondaire consiste en l’intervention du père (le phallus) pour signifier très clairement l’interdit de l’inceste… C’est la verbalisation sans ambage, clairement exprimée, qui permet la libération du désir pour une réalisation hors du milieu familial.

Le défaut de présence active du père à ce stade impacte fortement l’évolution génitale du sujet.

*Pour le garçon : la carence paternelle peut engendrer un choix de persistance, de maintien dans une position libidinale strictement narcissique, avec orientation vers un objet destiné à satisfaire la satisfaction de ses seuls plaisirs partiels génitaux ; ou, l’amener à intérioriser la violence, l’agressivité, l’irrespect de son père à l’égard de la gente féminine.


Dans tous les cas, le rejet d’un père autoritaire, violent (ne fonctionnant donc que sur le mode des pulsions orales, anales, urétrales) se satisfait dans la dépendance (alcool, cannabis, cocaïne), ou la tendance paranoïaque, et inscrit chez le garçon qui porte son nom l’idée que c’est par les pulsions urétro-anales que l’homme est « citoyen valeureux en société ». C’est donc un individu qui garde une imprégnation homosexuelle forte (passive, avec identification à la mère dépressive mais valeureuse puisqu’elle protège du père, ou active, structurée alors sur les rapports au père dont l’exemple l’amène à penser que c’est cela que d’être homme) ;

*Pour la fille : la carence paternelle, ou sa violence, rend difficile pour elle la découverte d’un chemin pour aller vers un objet qui la rende mère (c’est son désir à elle, dès le départ), mais pire, elle peut ne même plus le désirer, en tout cas sur le schéma parental qui lui est offert… plutôt que d’intérioriser les valeurs passives de la mère, elle peut envisager au contraire d’incorporer les valeurs actives qui lui permettront de protéger la mère, la femme, les femmes (homosexualité « active ») ou de rester sur le mode exemplaire de la mère et de ses motions passives, mais dans un rejet du sexe opposé (homosexualité passive).


Pour entrer dans l’Œdipe, la fille tente nécessairement de transgresser l’interdit de l’inceste, en faisant « tomber son père dans un piège séducteur » (p.193). (La fille n’a pas de pulsions actives centrifuges péniennes du garçon. Par rapport au phallus, ses pulsions sont centripètes. Elle attire, guette, amène à elle, dans le fantasme d’être « prise, pénétrée comme Maman l’est par Papa », p.193). Son fantasme d’être l’objet sexuel du père l’amène à développer des qualités dites féminines véhiculées et promotionnées par la société : bien apprendre ses leçons, faire ses devoirs, bien se tenir, être toujours propre, avoir de bonnes notes, développer des qualités liées à l’entretien du ménage, du foyer etc…
Ce piège séducteur entraînant le père ne lui permet plus de sortir de l’Œdipe : elle y reste puisque le père la reconnaît et s’adresse à elle comme il devrait le faire avec sa femme.

Nombre d’enfants ont mal vécu leur Œdipe ou leur sortie de l’Œdipe par manque de castration, c’est-à-dire de verbalisation de l’interdit de l’inceste, qui libère le désir pour une valorisation hors du milieu familial.

D-Rôle des parents après l’Œdipe

En période de latence, la cellule familiale reste prépondérante, les rôles et fonctions parentales sont les références. Ce sont eux ces parents (parfois les aînés) qui accompagnent les échecs, les déconvenues, les peines. Ici, la façon de réagir des « grands », des adultes (parents souvent) pour soutenir ou culpabiliser impacte profondément le psychisme et la vulnérabilité agissante de l’enfant. Cet enfant est très sensible à l’écoute discrète de la « présence chaste, compatissante » de l’adulte qui, sans reproche ni discours moralisateur l’écoute ».

« Ce n’est que par la reconnaissance qu’ont les parents de leur propre valeur et en même temps, par l’amour et la confiance qu’ils lui montrent, que l’enfant se sent valorisé et soutenu pour dépasser ses échecs dans la confiance en soi, liée précisément à ce qu’il est précisément l’enfant de ces deux là » (p.199).

Cette confiance, cette affection et cet intérêt chaste des parents pour l’enfant sont irremplaçables après l’Œdipe, car l’affection de ses parents est nécessaire au moment même où il se pense sans aucune valeur à leurs yeux.

« Le discours moralisateur, autant que les privautés d’une tendresse consolatrice sont nocifs à court ou long terme, car l’enfant doit continuer à se dégager de la dépendance parentale », (p.199).

Avec la castration secondaire génitale oedipienne, les parents aident à dépasser des modes de raisonnement et d’affectivité pré-oedipiens et oedipiens… Ils sont des référents, importants, parmi d’autres rencontrés à l’extérieur de la cellule familiale.

E- Apports narcissiques de la castration génitale oedipienne

Après la période de latence (psychique et physiologique), l’importante poussée hormonale favorise l’apparition des caractères sexuels secondaires. Cette poussée, ce développement brutal replonge l’adolescent (dans son imaginaire en tout cas) dans ses représentations de désirs connus au moment de l’imminente castration oedipienne.

Le narcissisme se développe sur les bases antérieures :
  • les aptitudes technologiques, culturelles, acquises au cours de la phase de latence, pour le plaisir narcissique personnel mais aussi pour triompher d’un rival, se remanient en vocation : c’est le désir de jouer un rôle dans la société, d’y tenir une place (l’adolescent sort, se montre) ;
  • le désir d’assumer ses besoins et ses désirs, de vivre ailleurs qu’au foyer, de fréquenter des amis des 2 sexes sans surveillance s’exprime et incite à prise d’initiatives vers le dehors, l’extérieur, la société. Le jeune prend de plus en plus part à la vie sociale et civique, il s’y engage… Sa capacité à se promouvoir dans ce contexte vient renforcer sa structure narcissique.